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HISTOIRE SOCIALE DES PLANTATIONS MICHELIN AU VIETNAM

Le 28 mai 2013 à 07h36

LES PLANTATIONS MICHELIN AU VIETNAM.
L’ouvrage est édité par les éditions La Galipote,
en partenariat avec l’Université Populaire du Puy-de-Dôme.
Il comporte 340 pages et coûte 20 € (24,60 € par envoi postal)
Il est disponible auprès de l’éditeur, de l’UPC, sur Internet et chez les libraires
ISBN : 978-2-915257-40-3
L’ouvrage "Les plantations Michelin au Viêt Nam : une histoire sociale", vient d’être publié par ERIC PANTHOU. Il comporte deux parties.
1) La traduction pour la première fois en français du témoignage, considéré comme un ouvrage de référence sur le Viêt Nam, d’un coolie, Tran Tu Binh, sur sa vie dans une plantation Michelin de 1927 à 1930, date à laquelle il est arrêté puis condamné à 5 ans de bagne à Poulo Condor pour avoir organiser une grève insurectionnelle sur la plantation.
2) La seconde partie est l’étude historique réalisée sur la base de deux ans de recherches dans les archives et bibliothèques. L’auteur est un spécialiste de l’histoire de Michelin dans cet outre-mer et est détenteur d’un DEA en Histoire contemporaine.
La riche bibliographie de l’ouvrage est consultable en ligne.
ericpanthou@yahoo.fr
Présentation
Dans l’histoire de la domination française en Indochine, l’exploitation de l’hévéa demeure le symbole de l’expansion économique de la région qui a fait la fortune de nombreux colons et de grandes sociétés. Parmi elles, Michelin.
Mais la culture de l’hévéa marque aussi une des périodes les plus noires du colonialisme par le traitement infligé au prolétariat indigène venu travailler là. Or, les plantations Michelin sont, aussi bien dans la presse et les rapports des autorités de l’époque que dans la mémoire du peuple vietnamien, l’un des lieux emblématiques de cette exploitation orchestrée par ceux qu’on appelait les « jauniers ».
Premier ouvrage en français traitant d’un sujet constituant encore un enjeu mémoriel, Les plantations Michelin au Viêt-nam se présente en deux parties distinctes : la traduction du témoignage célèbre d’un coolie ayant travaillé sur une plantation Michelin jusqu’à 1930, puis une rigoureuse étude historique. C’est à une nouvelle approche de la politique sociale de Michelin, en contexte colonial, à laquelle cette étude vous invite.
« Un livre passionnant » déclarent les premiers lecteurs parmi les 350 souscripteurs (voir plus loin). La curiosité et l’intérêt suscité par l’ouvrage chez les libraires depuis sa diffusion début avril sont également un vif encouragement. Cet ouvrage s’adresse à la fois à ceux s’intéressant à l’une des plus secrètes et plus importantes multinationales françaises, mais aussi à ceux qui sont attirés par l’histoire coloniale ou celle du Viêt Nam.
Un ouvrage né d’un travail collectif et associatif, entamé depuis deux ans
L’histoire sociale des plantations Michelin est un projet né il y a deux ans. L’Université Populaire et Citoyenne du Puy-de-Dôme (UPC 63) conserve dans ses archives le texte original en vietnamien, et aussi sa traduction américaine publiée en 1985 par une université, du témoignage d’un coolie, Tran Tu Binh, ayant travaillé sur les plantations Michelin de 1927 à 1930. Son témoignage raconte les terribles conditions de vie et de travail des milliers de coolies acheminés du Nord vers ces grandes plantations, les mauvais traitements infligés par l’encadrement français et les efforts d’organisation des ouvriers pour se défendre et finalement se révolter. Tran Tu Binh devenu alors militant communiste, fut l’organisateur d’une grève sur cette plantation en 1930, ce qui lui valut 5 ans de prison au tristement célèbre bagne de Poulo Condor.

Après l’accord de la famille de Tran Tu Binh, Carola Kaufmann, membre du groupe Histoire et mémoire sur le mouvement social de l’UPC 63, a réalisé la traduction de ce texte très fort. Parallèlement, Éric Panthou, historien, membre également de ce groupe a entrepris ce qui ne devait être qu’une simple mise en perspective du cadre historique dans laquelle ce récit se déroule. Puis, au gré de ses lectures et de ses recherches aux archives d’outre-mer, se sont faits jour de nombreux particularismes des plantations Michelin. Ceci justifiait l’intérêt de rédiger une véritable histoire de ces plantations.

Cet ouvrage dévoile un pan inconnu de l’histoire sociale de la Société Michelin. Si les historiens anglo-saxons continuent depuis les années 1980 à étudier cette question sociale dans l’économie de plantation en Indochine, il n’existait à ce jour aucune publication sur ce sujet en français depuis un article fondateur de Pierre Brocheux paru en 1977. Ce livre vient donc combler un manque concernant un secteur, l’hévéaculture, qui après 1925 jusqu’à la décolonisation fut le secteur symbole de la « mise en valeur » coloniale chère aux autorités, et en même temps celui qui fut emblématique de cette violence et de cette domination coloniales.
Phu-Riêng la Rouge, par TRAN Tu Binh,
un témoignage majeur sur l’Histoire et la société vietnamienne
La première partie de l’ouvrage est la traduction du témoignage d’un coolie, Tran Tu Binh, parue en 1965 pour la première fois au Viêt Nam, sur les conditions de vie et de travail extrêmement difficiles sur l’une des plantations Michelin et les efforts d’organisation des ouvriers pour se soulever. Il y a quelques semaines, à la question suivante, posée sur le forum américain Vietnam Studies Group à plusieurs dizaines de spécialistes du monde entier, « Quels livres conseillerez-vous à un étudiant se rendant au Viêt Nam ? », Phu-Riêng, la Rouge, de Tran Tu Binh, a été retenu aux côtés d’une vingtaine d’autres ouvrages de référence. C’est dire l’importance de ce récit, que l’Université Populaire et Citoyenne, grâce à la traduction de Carola Kaufmann, avec l’aide de Jacques Joubert, à partir de la version originale en vietnamien, est fière de présenter pour la première fois en français. Ce texte, bien qu’il s’agisse d’un témoignage militant, d’un homme devenu ensuite un cadre du régime nord-vietnamien, est en effet considéré par les meilleurs spécialistes, tels Pierre Brocheux ou l’historien américain David G. Marr, comme le plus fiable sur la condition ouvrière dans ces grandes plantations. Il est le plus fréquemment cité par les historiens s’intéressant à cette période et ce sujet.

Le particularisme des plantations Michelin en Indochine, par Éric PANTHOU,
Un travail universitaire très documenté sur une face oubliée de l’histoire sociale de la multinationale clermontoise

La seconde partie est historique. Si l’intérêt pour l’histoire sociale et économique des plantations d’hévéas en Indochine est croissant depuis des années, en particulier chez les auteurs anglo-saxons, presque tous ont été confrontés au refus de la Société Michelin d’ouvrir ses archives. En s’appuyant sur plusieurs centaines de pages de documents issus de ces archives, cette étude constitue une réponse à l’attente de nombreux chercheurs concernant l’attitude du géant du pneumatique en Indochine. Ce travail, à travers certaines comparaisons, établit le particularisme de ces plantations ; particularisme par la généralisation précoce des méthodes d’organisation du travail inspirées de Taylor et génératrices de pressions et violences sur les ouvriers ; particularisme par la fréquence et la gravité des incidents entre direction et ouvriers ; particularisme par la méconnaissance des mœurs des ouvriers de la part de cette même direction, par les conflits importants qu’ont noué les dirigeants avec les autres planteurs...

Cette publication est le fruit de deux ans de travail et de recherches dans différents centres d’archives, s’appuyant aussi sur les copies fournies par d’autres chercheurs, issues aussi bien des archives publiques en France et au Viêt Nam que des archives Michelin. Si la direction Michelin a attendu 15 mois pour répondre aux sollicitations d’Éric Panthou, pour invoquer finalement un manque de personnel pour retrouver et fournir les archives demandées, il a pu disposer de plusieurs centaines de pages de photocopies de ces archives, confiées par un autre chercheur. Ce travail s’appuie en outre sur une bibliographie de plus de 200 titres aussi bien en français qu’en anglais (consultable en ligne sur le site de l’UPC 63).

Michelin a considéré qu’il suffisait de dépenses importantes dans le domaine sanitaire (hôpital et drainage pour réduire le fléau du paludisme qui a causé 17% de morts en 1927 sur l’une de ses plantations) pour obtenir la paix sociale et des rendements élevés. Mais à côté, il a délaissé l’habitat, ses cadres ne connaissaient pas les mœurs et coutumes des coolies, et considéraient toute protestation comme émanant des communistes donc non entendables. Tout cela a contribué à ce que des incidents graves (assassinat d’un surveillant français, cas de torture dévoilés par l’inspection du Travail, grève insurrectionnelle en 1930, assassinat de 3 coolies par des gardes en 1932, etc.) surviennent régulièrement et que les autorités soient de plus en plus critiques à son égard comme en témoigne l’extrait du rapport du Gouverneur de Cochinchine qui figure ci-après.

Cette étude établit aussi le succès économique de ces plantations, que les chercheurs pressentaient bien-sûr, mais sur lequel ils ne disposaient d’aucun chiffre, la Société Michelin cultivant le secret depuis ses origines. L’extrême faiblesse des salaires des coolies combinée à la forte demande en faveur du caoutchouc naturel, ont contribué à faire de ces plantations des domaines extrêmement rentables. Ceci explique sans doute pourquoi Michelin est resté au Viêt Nam jusqu’à la chute de Saigon en 1975 et le départ des Américains, bientôt suivis de l’expropriation des plantations du Sud Viêt Nam par le nouveau pouvoir communiste. Mais Michelin et ces grands planteurs ont laissé une trace indélébile dans la mémoire populaire vietnamienne qui voit cette période des grandes plantations comme celle emblématique de la domination coloniale et de la violence faite aux Vietnamiens. Tran Tu Binh ne qualifie t-il pas Phu-Riêng, la plantation Michelin où il fut employé, d’ « enfer sur terre » ? Le fait qu’après que les autorités vietnamiennes ont réouvert le pays aux capitaux occidentaux en 1992, Michelin ait reçu une fin de non recevoir, est également significatif de la trace laissée par cette entreprise dans ce pays.

Un ouvrage au croisement de l’Histoire coloniale
et de l’Histoire sociale
Depuis la fin des années 1990, on a assisté à un regain d’intérêt et à un profond renouvellement de l’Histoire coloniale, en grande partie parce que ces questions liées à la mémoire, la repentance ont été remises à l’ordre du jour à travers la loi Taubira qualifiant l’esclavage de crime contre l’Humanité, puis à travers la tentative il y a peu, d’inscrire dans le marbre et faire enseigner « le rôle positif de la présence française outre-mer » et « la mission civilisatrice de la France » défendue par certains depuis Jules Ferry . En témoigne aussi cette année le fait que cette question des sociétés coloniales soit au programme des concours du CAPES et de l’agrégation en Histoire contemporaine. Cette Histoire coloniale est un enjeu mémoriel important, elle n’est pas neutre. La présentation conjointe de la vision des colonisés et d’une analyse historique rigoureuse constitue l’une des originalités et l’intérêt de cet ouvrage.