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Histoire de la SFHOM
Le 25 août 2010 à 14h28
La Société française d’histoire des outre-mers (ou SFHOM), créée en juin 1912, s’est d’abord appelée Société d’histoire des colonies françaises. Puis elle changea plusieurs fois de nom, en s’adaptant ainsi aux nouvelles réalités. Elle existe toujours au début du XXIe siècle, alors que, vingt ans après sa naissance, ses nombreux fondateurs s’étonnaient presque de la voir toujours en vie [1].
1. Le cœur de l’activité : la publication de la revue
L’objet premier de l’association a été tourné essentiellement vers la publication d’une revue : celle-ci est l’émanation de la sfhom. Mais son nom a connu plusieurs variantes : de 1913 à 1930, la revue s’appelle Revue d’histoire des colonies françaises, puis, de 1931 à 1958, Revue d’histoire des colonies. En 1959, elle devient Revue française d’histoire d’outre-mer, nom auquel s’ajoute un sous-titre de 1987 à 1998 : « Explorations, Colonisation, Indépendances ». Enfin, sous l’égide du secrétaire général de l’époque, Daniel Lefeuvre, le nom devient en 1999 : Outre-mers. Revue d’histoire.
Sa présentation change, la couleur de la couverture également. Le papier et la typographie sont de belle qualité. Au départ, la revue était faite d’une série de cahiers cousus et le papier était de pur chiffon. De teinte verte au départ, la couverture est, depuis 1999, d’une couleur bleu outre-mer ; le jeu des nuances introduit dans la composition accorde une profondeur visuelle préparant au voyage dans le temps et dans l’espace.
La conception-même de la revue a évolué avec le temps. Son organisation actuelle a vu le jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : les responsables ont choisi de présenter des travaux historiques ouverts sur les multiples préoccupations de l’époque[2]. Depuis, chaque équipe chargée de veiller à la vie de la société et de sa revue a eu soin de veiller à la continuité de cet esprit. Ainsi, certains tournants décisifs au long du XXe siècle ont pu être pris judicieusement. Celui pris dans les années 1970, sous l’impulsion de son secrétaire général Jean-Claude Nardin, a permis à certaines formes d’approches historiques neuves, par les démarches de l’analyse et les thèmes abordés, de trouver dans la revue un lieu d’expression et de diffusion. Ainsi peut-elle être classée dans le peloton des grandes revues d’histoire contemporaine[3].
La revue a vu paraître généralement quatre numéros par an, mais parfois, il y en a eu six, tandis que des numéros doubles, ou, plus rarement, quadruples, ont été publiés. Depuis 1999, la revue compte deux numéros doubles par an. Dès l’origine, dans chaque numéro, sont publiés des articles de fond et des comptes rendus d’ouvrages, même si chaque époque propose des variantes, avec notamment une liste des membres ou une rubrique Mémento colonial, etc. Les rubriques Mémento ont constitué à une époque un bilan d’informations actualisées de ce qui se déroulait dans les territoires sous autorité française.
À partir du milieu des années 1930, les comptes rendus ont permis de diffuser les dernières publications traitant de l’outre-mer sous un angle historique. Ainsi un large public peut-il être informé de l’existence de publications spécialisées qui risqueraient, sans cela, de rester très confidentielles. À la fin du siècle dernier, Paule Brasseur a donné une impulsion décisive à cette rubrique à laquelle chaque numéro consacre plusieurs pages.
De 1913 à 1986, des Tables ont été éditées à trois reprises. Une nouvelle version des Tables a été publiée en 2003 ; ce bilan des publications est à la fois un récapitulatif des articles et ouvrages publiés depuis l’origine, mais également une sorte de table pour la période postérieure à 1986, bien que l’on n’ait pas reporté cette fois-ci la liste des comptes rendus publiés. Les Tables permettent un voyage en raccourci dans l’extraordinaire richesse des diverses publications de la société depuis 1913 et sont un fidèle reflet de ses propres préoccupations et de celles d’une recherche historique en quête de qualité et d’ouverture d’esprit.
2. La sfhom éditeur
Par ailleurs, dès 1915, la société se lance également dans la publication de volumes, édités hors de la revue. La sfhom n’est pas une « maison d’édition » en tant que telle, car elle n’est qu’une association sans but lucratif qui ne dispose pas des moyens financiers et humains qui lui permettraient de venir concurrence les maisons spécialisées comme Karthala, L’Harmattan ou Maisonneuve & Larose – où des adhérents importants ont d’ailleurs publié des ouvrages et avec lesquelles, ponctuellement, la sfhom a elle-même collaboré pour des co-éditions (Toussaint-Louverture, récemment). Mais elle a toujours entendu valoriser des documents originaux sur l’histoire des outre-mers – tel le fameux « Moreau de Saint-Méry », publier des actes de colloque – comme numéro spécial de la revue et/ou en tant que livre –, aider ses adhérents à publier des ouvrages ne pouvant pas accéder à un large public. Elle occupe ainsi des « niches » intellectuelles et académiques, avec un rythme de publication inégal mais en expansion (Cf. le Catalogue des publications disponibles, édité en 2002 et réédité en 2004)
3. Le rôle fondateur d’Alfred Martineau
L’un des membres fondateurs les plus actifs fut Alfred Martineau qui, dans le premier numéro de la Revue de l’histoire des colonies françaises (1913), explique les raisons ayant poussé à la création d’une société savante spécialisée dans l’histoire des colonies, alors qu’on estimait que, en France, l’histoire coloniale était relativement récente. Martineau la faisait remonter aux alentours de 1850,
« c’est-à-dire au moment où commençait de se dessiner pour notre pays, grâce à la conquête de l’Algérie et à la fondation de nouveaux comptoirs sur les rivages occidentaux de l’Afrique, la constitution d’un second empire colonial autour des lamentables épaves de nos anciennes possessions d’outre-mer, que furent publiées les premières histoires d’ensemble des colonies françaises. Histoires bien imparfaites d’ailleurs, simples juxtapositions de monographies placées les unes à la suite des autres, démarquages plus ou moins dissimulés des chapitres historiques insérés dans les excellentes Notices statistiques sur les colonies françaises (Paris, Imprimerie royale, 1837-1840, quatre volumes in quarto) et de quelques monographies – sur Madagascar, sur la Guyane – publiées sous le règne de Louis-Philippe par les soins du ministère de la Marine ou par quelques consciencieux érudits ; histoires très incomplètes, souvent erronées ou imprécises, dépourvues d’esprit critique, de fil conducteur et de vues d’ensemble, ne montrant guère ou même ne montrant pas du tout les rapports étroits de la politique métropolitaine avec les destinées des établissements français d’outre-mer ; histoires dignes d’attention toutefois, en tant que premiers essais, et parce que permettant de déterminer l’époque où l’on a vraiment commencé de s’intéresser, en France, dans une certaine partie de la nation, à l’expansion coloniale, et non pas seulement à l’œuvre contemporaine, mais aussi, en quelque mesure, au passé colonial du pays »[4].
Les préoccupations de Martineau s’inscrivaient dans un mouvement de pensée déjà ancien qui visait à étendre le champ des connaissances de notre planète et à en présenter les données de façon érudite à un large public, aux côtés de divers musées, de « muséums » et d’expositions plus ou moins consacrées à l’outre-mer. Déjà, à la fin du XIXe siècle, de multiples études s’étaient développées autour des pays que l’on conquérait progressivement. Les voyageurs, toutes formations confondues, étaient sollicités pour ramener des échantillons des savoir-faire des peuples lointains, rédiger des articles, des ouvrages, réaliser des conférences autour de ces découvertes. Les écoles de médecine et les universités inscrirent ces nouvelles connaissances dans leurs programmes, élargissant le champ tant de la sociologie et de l’anthropologie que de l’histoire. Les universités de Marseille, Bordeaux et de Paris ont ainsi joué un rôle phare dans cette voie.
C’est dans cet environnement que Martineau crée en juin 1912 une nouvelle société savante dans la lignée de celles déjà existantes. Son but était d’étudier toutes les questions relatives à l’histoire des colonies appartenant ou ayant appartenu à la France :
« Au moment où paraît le premier numéro de la Revue de l’histoire des colonies françaises, il n’est peut-être pas inutile d’expliquer dans quelles conditions la Société de l’histoire des colonies s’est elle-même constituée. Comme cette constitution fut, au début du moins, le résultat d’un effort un peu personnel, on comprendra sans peine que l’explication soit très courte. Il y a trois ans, j’étais gouverneur des établissements français dans l’Inde. L’idée me vint un jour de consulter les vieilles archives de Pondichéry qui, malgré leur dispersion après les sièges de 1760 et de 1779, conservent encore beaucoup de documents intéressants, soit en originaux, soit en copies. Je fus frappé de voir que presque tous ces documents s’en allaient à une destruction certaine, soit par le blanchissement de l’encre soit par l’effritement du papier. Plus tard, il me fut donné, en une série de voyages à travers la péninsule, de parcourir la plupart des lieux historiques où se jouèrent les destinées de notre empire indou, et, si je fus émerveillé des beautés du Taj à Agra, des rites sacrés du Brahmanisme à Bénarès, et des progrès industriels de la ville de Bombay, j’eus une sensation d’une autre nature et une sensation plus profonde en visitant le roc de Trichinopoli où se brisa la fortune de Dupleix et la forteresse de Seringapatam où, avec la mort de Tippou Sahib, se scella l’asservissement définitif de l’Inde à la puissance de l’Angleterre.
» L’idée me vint alors de conserver ces papiers qui, j’ai pu m’en convaincre, renferment des récits épiques encore ignorés de l’Histoire, et de ressusciter la mémoire de héros modestes ou trop peu connus qui, sur toute la surface de l’Inde, ont essayé de doter la France d’un empire dont Dupleix et Bussy entrevirent seuls tout le développement. Pour réaliser cette idée, M. de Nanteuil, président du Conseil général de l’Inde française, et M. Gaebelé, maire de Pondichéry, voulurent bien prêter leur concours à la création d’une société historique, qui prit le titre de Société de l’histoire de l’Inde française. La société nouvelle se mit aussitôt à publier divers documents d’ordre diplomatique ou politique, dont quelques-uns tombaient déjà en poussière. Elle a publié ensuite et elle publie encore aujourd’hui, sous la direction de M. Gaudart, gouverneur honoraire des Colonies, des extraits des procès-verbaux du Conseil supérieur de Pondichéry, depuis la création de ce conseil, en 1701. Une histoire spéciale de l’Inde se dégagera de ces documents.
» Revenu en France, il me sembla que l’idée qui venait de se réaliser dans l’Inde, pouvait aussi bien s’appliquer à l’ensemble de nos colonies. Je m’assurai d’abord le concours du Conseil général de l’Inde ; M. [William] Ponty, gouverneur général de l’Afrique occidentale, voulut bien prêter l’appui de la colonie qu’il administrait ; la Société de l’histoire des colonies françaises pouvait vivre ; elle se fonda. Si la Société, comme nous l’espérons, réalise le programme qu’elle s’est tracé et qu’on lira plus loin, les amateurs des études historiques sauront qu’ils doivent en témoigner tout d’abord leur reconnaissance à M. le Gouverneur général de l’Afrique occidentale et au Conseil général de l’Inde, sans l’appui desquels notre société aurait pu ne rester qu’une espérance ; ils devront aussi une gratitude particulière aux historiens et aux érudits qui ont donné sans réserve leur adhésion à la société naissante et lui ont prêté dès le premier jour le haut patronage de leur nom et de leur autorité. Il sera aussi permis de remercier les membres de l’Académie française, qui ont accepté un peu plus tard de faire partie de notre comité et dont l’un, M. Poincaré, préparait déjà à cette époque les matériaux de l’histoire extérieure sur laquelle nos successeurs travailleront à leur tour. »
4. L’esprit initial de la fondation de l’association
Nous croyons devoir reproduire ci-après le texte de la circulaire qui a été envoyée aux universités, aux sociétés savantes et en général à toutes les personnes susceptibles de s’intéresser au passé de nos colonies pour leur faire part de la fondation de la Société et leur faire connaître le programme de ses travaux :
« Depuis une cinquantaine d’années, les sociétés historiques se sont multipliées en France. Au fur et à mesure que croissait l’intérêt du public pour les choses du passé, érudits et travailleurs sentaient la nécessité de coordonner leurs efforts en vue d’une meilleure organisation du travail. Certaines de ces sociétés se consacrent à l’étude d’un pays, d’une région ou d’une ville, telles que la Société de l’histoire de France, la Société de l’histoire de Paris ; quelques-unes limitent leur action à une période déterminée de l’Histoire : Société de l’histoire moderne, Société d’histoire de la Révolution, Société d’histoire de la Révolution de 1848 ; d’autres enfin ont un objet plus limité encore, comme la Société de l’histoire du protestantisme français, la Société d’histoire littéraire de la France, etc.
» Nul ne saurait s’étonner qu’à cette liste déjà longue vienne s’ajouter une Société de l’histoire des colonies françaises. Le passé colonial de notre pays est assez riche – qu’il s’agisse du passé des régions qui ont cessé d’être françaises ou qu’il s’agisse du passé des territoires qui appartiennent encore à la France pour justifier la création d’un groupement portant ce titre. Et l’on devine qu’aux efforts de la nouvelle Société pour mieux faire connaître l’histoire des colonies, la matière ne saurait faire défaut de longtemps. Les personnes qui s’intéressent aujourd’hui à l’histoire des colonies ne sont pas rares : grouper toutes les compétences et toutes les curiosités, en vue de mieux coordonner les efforts, tel est l’objet de la nouvelle Société.
» Elle publiera des documents inédits, des réimpressions d’ouvrages rares et coûteux et une revue. Les documents : mémoires, correspondances, instructions aux gouverneurs, récits de voyage, rapports commerciaux, etc. seront empruntés, soit aux dépôts publics d’archives, que seuls quelques érudits ont jusqu’ici explorés, soit aux collections privées, parfois si riches. Les documents de quelque étendue seront publiés en volumes distincts, sous leur titre propre et avec un numéro d’ordre particulier. Ceux qui ne pourraient, vu leur brièveté, être publiés à part, paraîtront dans la Revue, précédés chacun d’une introduction spéciale, qui les placera dans leur cadre historique et permettra d’en mieux comprendre l’objet. Quant à cette Revue, elle comprendra un fascicule de 112 pages au minimum par trimestre et contiendra, outre les documents dont il vient d’être question, des articles de fond, des chroniques et une bibliographie aussi complète que possible. Il est enfin une œuvre que la Société se propose aussi de réaliser, c’est l’édition d’un atlas historique des colonies, atlas qui fait actuellement défaut […].
» Ces publications feront connaître, sans aucun esprit de parti, les tentatives que nos pères ont faites à différentes époques, soit pour fonder des établissements commerciaux, soit pour créer des empires. Elles ne se borneront pas aux noms illustres comme ceux de Dupleix, La Bourdonnaye, Bussy, Flacourt, Poivre [etc.] […]. Elles les suivront au Brésil, à la Grenade, à Saint-Christophe, au Pégou, à Bangkok, à la Floride, etc., partout enfin où les Français se sont installés, même pour peu de temps. En 1913, en dehors de la Revue et des documents divers qui s’y trouveront rassemblés, nous publierons en volumes spéciaux le premier voyage de Lacourbe au Sénégal en 1683, l’odyssée de Law de Lauriston au Bengale après la bataille de Plassey et un rapport du commandant de Kergariou sur la mission de la Cybèle en Extrême-Orient, en 1817-1818. La société poursuivra, jusqu’aux approches de l’époque contemporaine, les diverses manifestations de notre activité extérieure et édifiera ainsi, avec les années, le véritable monument qui soit dû à nos gloires coloniales. »[5]
5. Les initiatives des années 1920-1930
« Presque aussitôt après sa création a surgi la Grande Guerre. On eût pu craindre que ce long drame ne lui fût fatal : elle venait à peine de naître, et risquait de disparaître dans la tourmente. Heureusement, il n’en fut rien et, malgré les difficultés d’édition, la Revue a pu paraître régulièrement tous les trois mois. Seule la publication des documents inédits ou des volumes a dû parfois être différée ; mais elle est aujourd’hui reprise si bien que, jusqu’à ce jour, la Société a pu éditer :
· Le premier voyage du sieur de la Courbe fait à la coste d’Afrique en 1685.
· Mémoires sur quelques affaires de l’Empire Mogol, 1756-1761, de Jean Law de Lauriston.
· La mission de la Cybèle en Extrême-Orient, 1817-1818. Journal de voyage du capitaine de Kergariou.
· La relation sur le Tonkin et la Cochinchine de M. de la Bissachère (1867)
· Les Instructions générales données de 1763 à 1831 aux gouverneurs et ordonnateurs des établissements français en Afrique occidentale.
· La Bourdonnais, par Pierre Crepin.
En dehors de l’intérêt qu’ils peuvent présenter, tous ces volumes, comme la Revue elle-même, se recommandent par une exécution typographique et une qualité de papier qui ont contribué pour leur part à assurer leur succès. Il n’est pas douteux que ces publications, tirées à un nombre restreint d’exemplaires, formeront dans un avenir rapproché une collection assez rare qui attire dès aujourd’hui l’attention non seulement des historiens, mais encore des bibliophiles. »[6]
En 1922, « la Société de l’histoire des colonies françaises compte aujourd’hui vingt ans d’existence […]. Cette longue durée est, pour les personnes qui l’ont créée, un précieux encouragement à poursuivre leur œuvre et, si possible, l’améliorer. Son but, à l’origine, était de publier une revue, des documents inédits et des ouvrages d’histoire coloniale, se référant au passé (les colonies appartenant ou ayant appartenu à la France. Ce programme a été régulièrement exécuté, sans interruption d’aucune sorte, même durant la guerre de 1914 à 1918, et il se poursuit. Cependant, depuis plusieurs années, la Société a étendu un peu son cercle d’action aux pays étrangers et, sans désirer en aucune façon devenir internationale, mot trop fâcheusement à la mode, elle a cru devoir accepter et même provoquer des études, qui nous sont venues surtout d’Angleterre, de Belgique et d’Italie. Elle a cru d’autre part devoir développer assez largement sa bibliographie de volumes et de revues, de telle façon qu’elle est devenue en ces dernières années comme une encyclopédie de toutes les connaissances historiques d’ordre colonial, se référant surtout a notre pays. On s’en rendra compte par la liste des comptes rendus de volumes et plus encore par l’énumération des articles de revue, que nous avons ou analysés ou simplement signalés. La Revue de l’histoire des colonies françaises est devenue ainsi un instrument de travail extrêmement précieux, dont l’importance sinon l’utilité s’affirme chaque jour davantage, tant pour les étudiants ou les chercheurs que pour les lecteurs ordinaires qui, dans la lecture des œuvres historiques, espèrent trouver une leçon des événements ou une distraction de l’esprit. »[7]
6. L’avant dernière étape, en 1958 : l’œuvre de Roger Pasquier
En pleine période du mouvement des indépendances, Roger Pasquier prit en main les destinées de la Société et de sa revue. Grâce en grande part à ses soins vigilants, les activités furent alors résolument tournées vers l’histoire et la société changea à nouveau de nom. Le Mémento colonial, important dans les années 1930, fut abandonné. « Au moment où la Revue d’histoire des colonies cède la place à la Revue française d’histoire d’outre-mer, il a paru utile de dresser le bilan de son activité en publiant une table détaillée de tous les articles, notes et comptes rendus divers qui ont paru dans ses colonnes de 1933 à 1958. Cette table complète celle qui a été établie en 1935 pour la période 1913-1933. De 1933 à 1958, la Revue a connu des transformations importantes. Il est bon d’en indiquer les grandes lignes pour faciliter l’utilisation de la table. Jusqu’à la fin de 1935, il existe une pagination différente pour les articles de fond et le Mémento colonial, qui comprend trois parties : le Mémento historique groupant statistiques et informations concernant les différentes colonies et protectorats, les Comptes rendus et la Revue des revues, et le Mémento bibliographique. Cette dernière rubrique consiste en une liste des ouvrages qui viennent de paraître. À partir de 1936, Comptes rendus et Mémento bibliographique sont intégrés dans la Revue par une pagination continue, tandis que le Mémento historique est détaché pour former un numéro spécial publié sous le titre de L’Année coloniale en 1937, 1938 et 1939.
Après la guerre, la Revue prend sa structure actuelle, abandonnant la publication de L’année coloniale et se vouant ainsi exclusivement à l’Histoire. Cependant, elle ne s’interdit pas, dans sa Revue des revues, de recenser des articles consacrés à l’évolution actuelle ou à un passé très récent […]. Afin de […] faire de la présente table un véritable instrument bibliographique, nous avons cru bon, dans une dernière partie, de rappeler l’existence du Mémento bibliographique réalisé avant guerre et de la Revue des revues. Celle-ci, à partir de 1948, constitue une véritable mine de renseignements et son classement géographique facilite les recherches. Enfin, une liste des auteurs des ouvrages recensés et une autre des revues dépouillées complètent ce travail dont on souhaite vivement qu’il rende service aux chercheurs » [8], précise le secrétaire général lorsqu’il publie une nouvelle édition des Tables en 1958.
7. L’évolution de l’esprit de la SFHOM
Dès sa création, Martineau décida de la qualité et de l’aspect que devait prendre la revue de la sfhom. Les travaux publiés au cours des premières années de la vie de la sfhom restent parfaitement d’actualité. D’anciens documents d’archives soigneusement édités sont toujours recherchés tant par les familles dont ils narrent l’histoire que par les chercheurs, historiens ou non, de toutes nationalités. Pourtant, le contexte de vie et de conception a beaucoup changé ; les premiers membres étaient des administrateurs passionnés par leur tâche et l’image de la grandeur de la France à l’échelle du monde. Certains sont devenus par la suite des historiens réputés, notamment Martineau qui obtint, en 1921, la première chaire d’histoire coloniale au Collège de France. Ces hommes s’appuyaient sur tout l’appareil « impérial » sur lequel reposait la vie coloniale, rassemblant de nombreuses personnalités politiques et les hommes d’affaires célèbres alors, plusieurs étant des dirigeants de compagnies commerciales.
Peu à peu, la sfhom a évolué en s’adaptant à de nouveaux environnements mondiaux. La période coloniale est passée ; ses acteurs se sont eux aussi bien souvent effacés. Mais des historiens de métier ont pris la relève, retenant le souci de raconter l’histoire du monde, d’en préserver documents et témoignages, de transmettre leurs démarches conceptuelles et les résultats de leurs recherches, leurs savoir-faire à de plus jeunes, associant des hommes et des femmes de formations, de localisations géographiques et académiques aussi variées que possible, dans un réel souci d’ouverture humaine et intellectuelle.
Depuis le mouvement d’indépendance des colonies, les noms des pays, des régions ont changé, parfois plusieurs fois ; la transposition des noms, après coup, est complexe ; d’autre part, au cours du XXe siècle, des frontières ont été mises en place, puis déplacées, parfois à maintes reprises. Les aspects géographiques et politiques ont également influé sur l’identité des habitants des régions concernées. et l’historien joue un rôle de premier plan pour expliquer les raisons de ces changements, ce qui le mène très loin des buts premiers fixés par les fondateurs de la sfhom. La volonté d’embrasser l’histoire à une vaste échelle demeure. L’on continue de passer en revue les thèmes communs qui lient et différencient les cultures, voire de critiquer nos méthodes d’approche classiques, afin de contribuer au renouvellement des démarches d’analyse et des connaissances. Même si la sfhom est née à l’époque de la conquête d’empires d’outre-mer, associée à d’importantes considérations militaires et économiques, les publications ont toujours présenté une large ouverture sur des thèmes variés, sans se cantonner dans l’histoire politique ou militaire, ni dans la nostalgie de gloires déchues ou de passés glorieux. Et, depuis les années 1970, les thèmes d’histoire économique, sociale, urbaine, culturelle, se sont développés au sein des articles de la Revue, en osmose avec l’évolution des thématiques et des méthodes des universitaires et de leurs équipes.
Les différentes éditions des Tables des publications de la sfhom constituent ainsi un outil de reconstitution des jalons de la vie intellectuelle de l’association. À travers les listes de publications et les introductions rédigées à ces Tables apparaissent les préoccupations des époques successives : un parcours à travers elles constitue en soi un voyage à travers l’historiographie des outre-mers. Une étude systématique des publications de 1913 à 2002 permettrait à coup sûr de discerner des « courants de pensée », voire des structures idéologiques propres à chacune des époques traversées. En effet, la Revue est le reflet des mentalités d’époques successives, des courants dominants au sein de structures académiques. Les articles ont exprimé des démarches qui ont pu passer pour originales, sinon novatrices, au gré des initiatives des érudits, savants, universitaires ou administrateurs de l’outre-mer qui s’impliquaient dans l’animation de ce pôle de rayonnement intellectuel.
Rappelons qu’une « école française » d’histoire des outre-mers a atteint dans les années 1970-1980 un haut niveau de rayonnement, notamment autour des pôles des universités de Paris et d’Aix-Marseille ; les seuls noms de Catherine Coquery-Vidrovitch, Hélène Almeida-Topor, Charles-André Julien, Daniel Rivet, Charles-Robert Ageron, Jean-Louis Miège ou Marc Michel expriment cette vitalité, avant une génération nouvelle de stimulateurs de la recherche, tels (sans exhaustivité) Monique Lakroum, Colette Dubois, Benjamin Stora, Guy Pervillé, Jacques Frémeaux ou Daniel Lefeuvre – sans oublier Jacques Marseille –, et l’émergence d’autres pôles, comme celui de Toulouse et de Bordeaux, tandis qu’une troisième génération, celle des « jeunes » chercheurs, a percé avec punch depuis les années 1990. L’ouvrage collectif Décoloniser l’Histoire ?, de nos collègues Sophie Dulucq et Colette Zytnicki relate et discute bien cette évolution de « l’histoire coloniale »[9], même si l’histoire de la géographie – que l’on pense au récent cinquantenaire de la revue girondine Cahiers d’outre-mer – participe aussi rétrospectivement de cette histoire, tout comme certainement une histoire de l’anthropologie et l’œuvre des centres de science politique (comme le CEAN à l’Institut d’études politiques de Bordeaux) ou des pôles polyvalents pour les disciplines scientifiques mais spécialisés dans une aire géographique (comme les centres d’études africaines de l’EHESS ou de la rue Malher).
Les courants de pensée présents dans la Revue sont, à coup sûr, pourrait-on penser, le reflet d’époques successives des mentalités et des pratiques historiques ; mais le risque serait qu’ils soient peut-être aussi le reflet d’un « franco-centrisme » trop appuyé. Heureusement, notamment au lendemain des indépendances et surtout à partir des années 1970, de nouvelles formes de pensée, de méthodes de travail et d’analyse apparaissent dans les écrits de la Revue dont nombre d’entre eux sont rédigés par des collègues étrangers, et l’on peut espérer que cette « internationalisation » s’accentuera en ce début du XXIe siècle.
Notes :
[1] Texte rédigé par Josette Rivallain en 2012 et complété pour le site web par H. Bonin en 2017.
[2] Roger Pasquier, Revue française d’histoire d’outre-mer, 1961, 161, tome XLV, page 311
[3] Propos recueillis auprès de Roger Pasquier
[4] Alfred Martineau, « Les études d’histoire coloniale en France et dans les pays de colonisation française », Revue de l’histoire des colonies françaises, tome 1, n° 1, 1913, pages 11-12.
[5] « La Société de l’histoire des colonies françaises », Revue de l’histoire des colonies françaises, tome 1, n° 1, 1913, pages 5-10.
[6] Table des publications de la Société de l’histoire des colonies françaises (1913-1922), s.d., pages III-IV.
[7] Martineau, éditorial des Tables, édition de 1923.
[8] Tables bibliographiques, 1933-1958, pages 311-312.
[9] Sophie Dulucq & Colette Zytnicki, Décoloniser l’Histoire ? De « l’histoire coloniale » aux histoires nationales en Amérique latine et en Afrique (XIXe-XXe siècles), Publications de la sfhom, 2003. Notamment Colette Zytnicki, « ‘La maison, les écuries’. L’émergence de l’histoire coloniale en France (des années 1880 aux années 1930) », pages 9-23.